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L’article s’intéresse à la valeur du travail dans un dispositif expérimental de lutte contre la pauvreté destiné à des chômeurs et chômeuses de longue durée, dont presque la moitié est issue de l’immigration. Ce dispositif, au croisement entre économie sociale et solidaire et une structure d’insertion, organise diverses activités salariées en lien avec le travail de subsistance et du réemploi. Notre article présente trois facteurs qui interviennent dans la construction de la valeur du travail : la trajectoire passée (notamment lorsqu’elle implique une double contextualisation liée à la migration), le rapport au travail de subsistance et la socialisation professionnelle passée. Nous montrons que le travail au dispositif participe au projet de construire une trajectoire sociale ascendante ainsi que le fait d’y travailler permet de se valoriser socialement.

L’article propose de s’intéresser à la valeur du travail dans un dispositif expérimental (Legendre 2012 ; Hammouche 2017) de lutte contre la pauvreté (Viguier 2020 ; Brodiez-Dolino 2013). S’adressant à des chômeur·se·s de longue durée, dont presque la moitié est issue de l’immigration, il organise diverses activités salariées au sein d’une structure au croisement entre économie sociale et solidaire. Ce dispositif1 accueille des classes populaires (Siblot et al. 2015 ; Bernard, Masclet, et Schwartz 2019), dont presque la moitié est issue de l’immigration. Dans l’article, il s’agira de montrer que la valeur du travail peut être différente selon la trajectoire passée (notamment si elle implique un parcours migratoire), la socialisation socio-professionnelle ainsi que le rapport entretenu avec le travail de subsistance (Pruvost 2021b ; Collectif Rosa Bonheur 2017b ; Mies 1988) dont la perception n’est pas la même selon le contexte d’origine. Nous identifions dans cet article différentes manières de s’inscrire dans ce dispositif. Elles s’appuient sur des symboliques qui ont cours plus largement dans les mondes du travail et dans la société française, et permettent aux personnes de développer diverses stratégies de valorisation de soi.

La notion de « travail de subsistance » (Mies 1988) nous paraît un bon analyseur pour rendre compte de la valeur du travail dans le dispositif dans lequel nous avons enquêté. Ce travail, renvoyant « tantôt à l’idéal d’autonomie, tantôt au spectre de la pénurie » (Pruvost 2021b, 727) est considéré comme propre aux classes populaires (Collectif Rosa Bonheur 2017b), en particulier celles en marge de l’emploi, vivant dans des territoires désindustrialisés (Collectif Rosa Bonheur 2019 ; 2017a). Il désigne « l’ensemble des tâches et activités nécessaires à la satisfaction des besoins, à l’accès aux ressources et à la protection, qui orientent le quotidien » (Ibidem), comme par exemple, cultiver ses légumes, construire sa maison, réparer ses vêtements. Mais le travail de subsistance s’inscrit également dans un contexte plus large de clivage entre les économies du Nord et du Sud global. Alors que dans le Nord, il se déploie aujourd’hui dans les territoires désindustrialisés, étant associé à la débrouille, dans le Sud il est encore conservé dans des « structures traditionnelles bornées aux frontières de la famille et du village » (Pruvost 2021b).

Compte tenu de ces éléments, le dispositif au sein duquel nous avons mené l’enquête constitue un terrain fécond pour observer les reconfigurations entre la valeur du travail, en fonction des trajectoires et du rapport avec le travail de subsistance entretenu par le passé. En effet, l’enquête a donné à voir que des populations issues de l’immigration sont parfois marquées par une socialisation au travail de subsistance sans lui attribuer un stigmate (Goffman 1975) moral de la « débrouille », renvoyant au contexte de pauvreté. De plus, le dispositif de lutte contre la pauvreté vise à mettre en place des activités s’inscrivant dans les démarches écoresponsables ou relevant du réemploi (Benelli et al. 2017), en s’inscrivant ainsi dans le travail de subsistance.

La démarche consistant à qualifier de travail les activités de subsistance n’est pas anodine. Non seulement elle inscrit la réflexion dans la suite des travaux sociologiques ayant porté sur le sujet (Collectif Rosa Bonheur 2017b notamment) mais surtout reflète notre posture épistémologique. Elle est inspirée entre autres par l’héritage du féminisme matérialiste (Delphy 1997), un courant attentif aux dimensions genrées du travail salarié (Tabet 1998 ; Kergoat 1992 ; 2004) et qui souligne, tout comme l’anthropologie du travail (Gibert et Monjaret 2021), que le cadre de l’emploi ne délimite pas les activités relevant du travail (Ravet et Laufer 2021). Cette sensibilité à la question des frontières du travail nous paraît particulièrement importante dans notre enquête auprès des ancien·ne·s chômeurs et chômeuses de longue durée. D’une part car leurs trajectoires passées les situent aux marges du travail et de l’emploi2, et, d’autre part, car le dispositif dans lequel ils et elles sont insérés propose du travail correspondant aux souhaits et compétences de la personne, il est donc important de regarder son contenu. En outre, les imbrications entre les politiques de lutte contre la pauvreté et la mise au travail s’inscrivent dans un tournant répressif qui caractérise ces politiques depuis la fin des années 1990 (Brodiez-Dolino 2013). Ces articulations, relevant du workfare (Nativel 2010), ont été décrites par des travaux sociologiques (Krinsky et Simonet 2017 ; Krinsky 2007) qui invitent à s’intéresser aux frontières du travail, dans un contexte qui tend à l’invisibiliser (Simonet 2021).

la suite de l’article se trouve dans le lien ci-dessous :
https://journals.openedition.org/e-migrinter/2892

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